L'INVISIBLE
L'île aux fleurs
Jorge Furtado
Brésil / 1989 / 13 min / Filmé en 35mm / Couleur / Documentaire
Démonstration fulgurante emportée par l’humour noir terrible de son auteur, ce film décrit par les méandres de la digression et la profusion d’images et de mots, le parcours d’une tomate depuis le champ de son cultivateur japonais (qu’est ce qu’un Japonais ? Qu’est ce qu’un être humain ?...) jusqu’à l’Ile aux fleurs, une décharge où se nourrissent les porcs... et les pauvres (Qu’est ce qu’un porc ? Qu’est-ce qu’un pauvre ?...). L’impact documentaire et politique de ce film, qui tient à la révélation de l’existence de ce lieu où la survie des hommes passe après celle des animaux, surgit d’un pastiche délirant et drôle de documentaire didactique (commentaire + images illustratives) dont il épouse les formes les plus variées. Et l’indignation n’en est que décuplée.
L'Île aux fleurs a été tourné dans l'État de Rio Grande do Sul, au Sud du Brésil, un État qui s'est développé grâce à l'élevage et à l'agriculture. Le Brésil à ce moment-là tire profit de l'industrie agroalimentaire. Le film est clairement circonscrit dans un espace précis, soit le Brésil à la fin du xxe siècle, à l'époque le pays le plus inégalitaire au monde.
Le film donne à voir les inégalités socio-économiques entre les riches et les pauvres. Il a aussi une dimension raciale : la famille blanche a une vie relativement aisée, au point de pouvoir se permettre de jeter des aliments. L'emploi de la mère de famille est de vendre des parfums à domicile, emploi plutôt facile si on le compare à celui des cultivateurs de tomates. Les femmes et les enfants pauvres. Le film décrit le chemin que parcourt une tomate plantée par un homme, Monsieur Suzuki. Celle-ci est acheminée dans une épicerie où Dona Anete se rend. Elle achète un sac de tomates. En préparant le repas — du porc à la sauce tomate —, elle jette une de ces tomates qu'elle ne considère pas comme étant assez appétissante pour la sauce. Dona Anete est représentante de commerce d'une société qui vend des parfums. Cette tomate finit son chemin à la décharge ouverte de l'Île aux fleurs, décharge située dans la ville de Porto Alegre au Brésil. Dans cette décharge, les déchets sont séparés en deux. Les déchets qui sont jugés acceptables pour les porcs sont triés en premier et donnés aux bêtes. Le reste des déchets organiques est mis à la disposition des femmes et enfants pauvres de l'Île aux Fleurs pour qu'ils puissent se nourrir. Une courte séquence fait allusion à l'Accident nucléaire de Goiânia (à 10' 38"). Le film se termine par une citation de la poétesse Cecília Meireles : «Liberté est un mot que le rêve humain alimente. Il n'existe personne qui l'explique et personne qui ne le comprenne.»
Jorge Furtado, né le 9 juin 1959, à Porto Alegre, est un scénariste et un réalisateur brésilien.
Il s'est illustré sur divers formats tels que la série télévisée et le long-métrage, mais son film le plus diffusé hors du Brésil et le plus célèbre est sans doute le court métrage L'Île aux fleurs (Ilha das Flores, 1989), qui a été récompensé d'un ours d'argent au festival international du film de Berlin, de neuf prix au Festival de Gramado et du prix du public au Festival international du court-métrage de Clermont-Ferrand.
Biographie
Après avoir exercé divers métiers (journaliste, plasticien), il s’oriente vers le cinéma dès le début des années 1980. Il est le cofondateur, en 1987, de la Casa de Cinema qui redonne un véritable nouveau souffle à la création indépendante brésilienne. Entre documentaire et films essais, Furtado a développé un style et une écriture qui lui sont particuliers : montage d’éléments hétérogènes, lyrisme des films, dysnarration, mélange des écritures filmiques. Il s'est illustré dans divers genres tels que la série télévisée et le long-métrage, mais son film le plus diffusé hors du Brésil, et le plus célèbre, est sans doute le court-métrage L'Île aux fleurs (Ilha das Flores, 1989), qui a été récompensé d'un Ours d'argent au Festival international du film de Berlin, de neuf prix au Festival de Gramado et du prix du public au Festival international du court-métrage de Clermont-Ferrand. Jorge Furdato est aussi professeur d’université.
Selon Sylvie Delpech, « le mélange de la fiction au documentaire, caractéristique de tous ses films, signe une volonté de transmettre de manière originale une idée, une conception cinématographique, une histoire ou une revendication politique au spectateur ». Elle cite ainsi les exemples suivants : « dans L'Île aux fleurs, il éveille sa conscience sur des sujets sérieux comme la pauvreté au Brésil et le traitement des déchets à Porto Alegre ; dans Ce n’est pas votre vie et Barbosa, il montre une personnalité pour en découvrir sa force mais aussi ses faiblesses ; dans Le Sandwich, entre autres, il met à mal la représentation filmique traditionnelle et dans Dorival, il signe un engagement politique, qui sous-tend une grande partie de ses films ». Elle explique que, « souvent motivé par des injustices et des conflits sociaux, Jorge Furtado filme ces failles de l’ordre établi » et que « son regard acéré de cinéaste sert son discours politique d’être humain vivant au sein d’une société absurde ».