L'INVISIBLE #2
Peter Watkins à propos de "La Bombe" : "J’ai réalisé La Bombe à une époque où le gouvernement anglais (et la B.B.C.) faisait l’apologie de la force de dissuasion nucléaire. La propagande officielle assurait la population que les mesures prises par la Protection Civile en Grande-Bretagne une farce aux bonnes intentions permettraient au pays de pouvoir se relever après une guerre nucléaire totale.
Juste avant de démarrer le tournage du film, j’ai envoyé le scénario au British Home Office (l’équivalent de notre Ministère de l’Intérieur, NDR), institution gouvernementale en charge du Programme de Protection Civile.
J’avais dans l’idée de leur poser des questions sur la localisation des abris anti-atomiques en Grande-Bretagne. Le British Home Office a appelé la chaine en état de panique et, dès lors, la B.B.C. a tout fait pour m’empêcher de tourner les prises de vue ont duré quatre semaines, et le tournage s’est déroulé au printemps 1965. Une fois le montage de La Bombe achevé, la B.B.C. a saisi le film pour statuer sur son sort. A partir de ce moment-là, on ne m’a plus donné une information sur ce qui se passait.
Par la suite, j’ai appris que les pontes de la B.B.C. avaient, en septembre 1965 et par deux fois, secrètement projeté le film aux membres du Cabinet du Premier ministre d’alors, Harold Wilson, et les avaient invités à donner leur opinion sur le bien fondé de sa diffusion à la télévision britannique. Avaient été aussi conviés à ces projections, le British Home Office, le ministère de la Défense nationale et le Post Office (le CSA anglais, NDR). En agissant de la sorte, la B.B.C. avait violé sa Charte d’Indépendance. J’ai donc immédiatement remis ma démission, et j’ai informé la presse de cette affaire. Ignorant les milliers de lettres des téléspectateurs et les injonctions de nombreux notables qui demandaient que La Bombe soit diffusé, la B.B.C. a décidé, en novembre 1965, de bannir le film. Face à la montée de la protestation populaire, la B.B.C. s’est résolue, en février 1966, à organiser six projections exceptionnelles de La Bombe au National Film Theatre à Londres. Seuls étaient invités, toutefois, les membres de l’establishment et des journalistes pro-nucléaires. Les autres, à savoir le reste de la presse et le public, ne pouvaient pas accéder à la salle, un cordon de sbires de la B.B.C. leur en interdisant l’accès.
Avec ce documentaire, je n’ai pas cherché à exagérer l’horreur de la situation. Si La bombe choque le spectateur, ce n’est pas parce qu’on a eu recours à des effets de terreur, mais parce qu’il voit pour la première fois, avec l’évidence de l’image, ce qu’il ne veut pas voir et ce qu’on ne lui laisse pas voir.
La Bombe est un film exceptionnel, même si certains spécialistes pensent que Peter Watkins est encore en dessous de la vérité.
Presque soixante ans après sa réalisation, The War Game n’a rien perdu de sa force, pamphlet politique impitoyable, mais également coup de poing salvateur opposé à l’omerta des lobbies pro-nucléaires qui depuis des décennies dictent leur lois aux politiques énergétiques de nos pays.
Peter Watkins
Est né en 1935 à Norbiton, Surrey, dans le sud de l'Angleterre. Après avoir étudié le théâtre à la Royal Academy of Dramatic Arts de Londres, il travaille comme assistant réalisateur de courts-métrages et de films documentaires. Grâce aux récompenses obtenues pour ses films amateurs (dont Journal d'un soldat inconnu et Les Visages Oubliés), il est recruté par la BBC pour laquelle il réalise La Bataille De Culloden. Le succès est immédiat.
Considéré par ses producteurs comme un réalisateur plus que prometteur, on lui donne carte blanche pour tourner La Bombe (Oscar du meilleur documentaire en 1966). Le film, qui décrit les effets dévastateurs d'une attaque nucléaire sur la Grande-Bretagne, sera interdit d'antenne pendant plus de 20 ans par la BBC. Sous la pression politique et médiatique, il choisit de quitter définitivement le sol anglais en 1968. À partir de cette date, et en dépit des difficultés, il réussira à construire une oeuvre originale et engagée, à contre-courant de tous les canons officiels, en tournant un peu partout dans le monde.
Les Gladiateurs, Punishment Park, Edvard Munch, Le Voyage et La Commune, Paris 1871, autant de films qui font date dans l'histoire du cinéma. Il n'a jamais cessé de porter un regard critique sur les mass média audiovisuels, particulièrement dans ses films où cette thématique majeure a toujours été omniprésente.
Aujourd'hui, plus que jamais, Peter Watkins continue de se battre pour l'émergence d'un véritable processus alternatif et démocratique dans le champ du medium audiovisuel. Son œuvre a fait l'objet d'un hommage remarqué lors du Festival International du Film de la Rochelle en juin 2004. Un essai intitulé Media Crisis écrit en 2002 est paru aux Éditions Homnisphères en 2004. Il vient d'être re-édité avec une nouvelle préface de Peter Watkins : Media Crisis, 5 ans après.